Emmanuelle Roux Cassutti

 Réflexions sur l’identité, la mémoire et l’environnement urbain

Introduction: 

Les images de l’artiste Emmanuelle Roux Cassutti sont, selon sa définition, “d’elliptiques et métaphoriques questions sur la mémoire individuelle, les liens, et la structuration de l’identité.”

Photographe et peintre, Emmanuelle vit et travaille à Paris. 

Ana: 

Emmanuelle, comment définissez-vous votre style photographique? Quelles sont vos références? 

Emmanuelle: 

Je peux dire que je suis ni dans la photo reportage, ni dans le champ du témoignage, ni dans la défense d’une cause…ce que je propose est plutôt une projection intérieure…. d’un état, d’une sensation. D’un instant.

J’ai étudié et pratiqué le dessin et la peinture et j’aborde la fabrication d’une image comme le ferait un peintre qui pose sur une toile blanche son écriture et sa sensation….comme lui j’ai le choix des formes, le choix de sujets, le choix de techniques et ce choix de vocabulaire pictural parlera autant que l’objet en lui-même.

Je crois que mes photos sont le monde tel que je le vois, probablement tel que je veux le voir, et des questions qui se posent à moi: c’est la traduction graphique de mon sentiment, de mon regard….

Dans ma photo c’est le regard qui est la décision. 

J’éprouve une fascination en peinture pour Nicolas de Staël, Chagall, Matisse mais aussi Egon Schiele, Pierre Bonnard, Jean Michel Basquiat, les fauves. 

En photographie j’aime énormément de photographes…Mais je suis très sensible aux images de Dolores Marat, Bernard Plossu ou de Todd Hiddo et j’en oublie beaucoup….

Ana: 

En observant vos photos, sous l’angle de la technique que vous utilisez, de longue exposition, on voit l’individu comme fondu dans le décor, il est là, toujours en mouvement, actif, mais en même temps presque invisible, méconnaissable.

Cela me fait penser aux effets de la vie dans les grandes métropoles comme Paris, ou nous courons sans cesse portés par cette envie de faire partie du “rêve” mais en oubliant le sens parfois, en laissant de côté ce que nous sommes vraiment et tristement, en se transformant juste en passants.

Puisque l’identité est un sujet très présent dans vos travaux, je voulais vous demander comment vous abordez cette question d’identité dans le contexte de Paris? 

Emmanuelle: 

L’utilisation de la longue exposition constitue pour moi l’équivalent de la sensibilité de la figure métaphorique ou de l’ellipse en littérature: je préfère utiliser l’allusion à la proposition sans liberté de lecture. 

Concernant le sujet: je reviens toujours vers les thèmes que je considère comme constitutifs de l’identité individuelle. Je m’interroge sur la construction de l’identité psychique (mémoire histoire individuelle enfance) sur la corporelle (limites du corps, peau) et également sur l’impact de l’environnement humain, du groupe, notamment urbain. 

Sur ce dernier point, je dirais que ce qui est frappant, c’est le paradoxe entre la cité, œuvre humaine s’il en est, qui pourrait avoir fini par dépasser son créateur, l’homme, et l’y faire “dys-paraître”. 

Comme s’il s’y était dilué…

Au fond, est ce que cet isolement auto-généré, pousse l’homme à se perdre ou plutôt à se trouver? 

Ana: 

Parlons Montparnasse ar(chitec)tistique d’Emmanuelle! Pourquoi le choix de Montparnasse, plus précisément son architecture, et quel est l’histoire derrière la série “Demeurance” ? 

Emmanuelle: 

Je vis à Paris depuis les années 80 et à Montparnasse depuis 30 ans…. J’ai dû m’y inscrire dans une histoire et des histoires. Le geste architectural n’est pas le fait uniquement de célèbres architectes, au travers de commandes publiques et de monuments érigés durant des décennies et pour des siècles. 

J’ai passé des années à regarder les architectures des habitations du quartier Montparnasse: des maisons certes connues pour certaines, mais aussi moins connues le plus souvent…

Je pense que l’ar(t)chitecture est un legs trop souvent invisible, une sorte de ponctuation artistique de la cité, qui au-delà de l’apport esthétique, diffuse et offre à chacun un “supplément” dans sa propre histoire individuelle, un morceau de mémoire ou une part de l’autre, de son âme, de chaleur et d’humanité qui seront incorporées dans notre construction individuelle. 

Voir les artistes et leurs œuvres au quotidien est, pour moi, source de réconfort, me nourrit, et aide à la mise en perspective. Donc à la définition, à notre définition. 

Nous sommes notre histoire mais notre histoire est aussi celle d’autres….et certains des autres existent par leurs créations, par leur art. C’est une autre forme de présence. 

Demeurance était une exposition de deux artistes. Thomas Ermel y parlait des peintres oubliés de Montparnasse. J’y ai fait, dans mes images, coexister ces architectures célèbres ou pas, avec leurs habitants anonymes. 

L’habitant est, certes, plus anonyme dans la ville. Je ne pense pourtant pas, pour ma part, qu’il y soit plus triste…Je pense surtout qu’il peut…ne plus s’y appartenir…

Qu’il soit trop isolé et “dilué” ou en hyper-connexion permanente, une part non négligeable de son identité individuelle est impactée par l’identité collective…

Comme je dis plus haut, lorsque l’on pense la cité, l’on peut entendre ou sentir ou vivre l’écrasement. 

Mais on peut aussi vivre la ville comme une œuvre humaine, comme une œuvre contemporaine, léguée mais vivante. 

L’identité se nourrit de mémoire.   

Liens:

sites.google.com/view/emarouxcassutti

Instagram: @emarouxcassutti_

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Sophie

4 years ago

J'adore l'esthétique, c'est beau, moderne, épuré! Ravie de pouvoir découvrir Montparnasse sous un autre angle.